DR ANICHA SAVADOGO, MEDECIN DU TRAVAIL : « De la même manière qu’on envoie nos véhicules au CCVA, chaque année, le corps mérite un bilan de santé »

by Votre Santé Magazine

Dr Anicha Savadogo est médecin du travail. Membre du bureau de la Société burkinabè de médecine du travail (SOBUMET), elle est la promotrice du cabinet médical Prevent. Dans cet entretien, la jeune médecin très engagée dans la promotion de la médecine du travail, nous parle de son domaine. Lisez plutôt !

 

Votre Santé : Qu’est-ce que la médecine du travail ?

 Dr Anicha Savadogo : La médecine du travail, c’est une spécialité médicale comme la cardiologie, la pédiatrie, la radiologie, la pneumologie. La différence avec les spécialités citées est que la médecine du travail est préventive et normative c’est-à-dire que son exercice est encadré par des textes de lois. Elle nécessite de faire des études spécialisées dont la durée est de quatre ans après l’obtention du doctorat d’Etat en médecine.

 De façon pratique, que fait la médecine du travail ?

 La médecine du travail, c’est cette spécialité dont les missions sont données par des textes. Le domaine est encadré par des textes sur le plan national et international. L’objectif est d’éviter toute altération de la santé du travailleur du fait des conditions de travail parce qu’il a été établi que lorsque le corps humain est exposé à certaines conditions délétères, il peut développer des maladies. Par exemple, une exposition aux bruits au-delà d’un certain seuil, peut provoquer une surdité que nous appelons dans notre jargon une surdité professionnelle.

 Quelle importance, selon vous, doit-on donner à la médecine du travail ?

 La médecine du travail est très importante pour toute entreprise qui vise la compétitivité et la pérennité. Le travailleur et l’employeur y trouvent chacun son compte parce que la santé de l’employé est un facteur de réussite de l’entreprise. Si le travailleur est en bonne santé, il est à même de faire un bon rendement et donc il assure la productivité de l’entreprise mais si le travailleur est malade, son rendement baisse et la productivité prend également un coup.

 Quels sont les rôles  de l’employé et de l’employeur en matière de médecine du travail ?

 L’employeur a la responsabilité de la santé de son employé. Lorsque je suis un employeur et que je recrute des personnes pour travailler, pour que j’atteigne mes objectifs, assurer leur protection dans le travail est une obligation pour moi employeur. C’est ce qui est dit dans les textes réglementaires. Au-delà de ce caractère réglementaire, l’employeur et l’employé doivent organiser la médecine du travail au sein de l’entreprise parce que c’est un facteur de productivité. La médecine du travail bien implémentée dans l’entreprise va permettre à l’employé d’être dans les conditions favorables à une meilleure productivité, ce qui profite naturellement à l’employeur.

 Comment trouvez-vous l’environnement de l’exercice de la médecine du travail au Burkina Faso ?

 La médecine du travail au Burkina Faso est une spécialité qui, malheureusement,  est peu connue des employeurs et des employés. L’environnement actuel doit être amélioré de toute urgence parce que nous faisons face à des défis dans le monde du travail. Les conditions du travail sont influencées par le climat économique et nous savons tous, actuellement, que ce climat économique n’est pas reluisant, que ce soit sur le plan national ou international. Vu que le climat économique a un impact sur les conditions de travail, il y a des risques traditionnels (poussière, bruits, vibrations, qui peuvent rendre malade, et il y a de nouveaux risques qui apparaissent et auxquels on doit faire face pour assurer cette protection de la santé des travailleurs.

 Pourquoi, selon vous, la médecine du travail est peu connue au Burkina Faso ?

 Avant, il n’y avait pas beaucoup de spécialistes en médecine du travail. De plus en plus, il y a des jeunes médecins qui se spécialisent dans le domaine de la médecine du travail parce que le monde du travail est vaste et les secteurs sont très divers. Chaque secteur mérite et doit organiser la médecine du travail en son sein pour l’accompagner dans son développement.

 Dans la médecine du travail, il y a ce qu’on appelle la visite médicale réglementaire. Que renferme cette notion ?

 La visite médicale réglementaire, c’est une consultation médicale spécialisée qui est prescrite par la règlementation. On en a de plusieurs types. On a la visite médicale d’embauche, la visite médicale périodique, la visite médicale de surveillance spéciale, la visite médicale de reprise et la visite médicale de fin de contrat. Toutes ces visites médicales qui sont des consultations médicales spécialisées, doivent être assurées par un médecin du travail.

 Quelle signification donne-t-on à chaque visite médicale ?

 La réalisation de chaque visite médicale règlementaire à un travailleur suppose que le médecin du travail a connaissance du poste de travail et les risques auxquels le travailleur sera exposé lors de son activité professionnelle. La visite médicale d’embauche est une visite réalisée au cours d’une consultation médicale effectuée par un médecin du travail. Son objectif est de déterminer la santé actuelle du travailleur que l’employeur veut embaucher et de voir avec les conditions de travail, si cet employé est apte à assurer les missions que l’employeur veut lui confier. Elle a également pour mission de s’assurer que le nouvel employé ne vient pas avec des maladies contagieuses pour contaminer les autres travailleurs qui sont déjà là. La visite médicale périodique est réalisée généralement un an après l’embauche et son objectif est de s’assurer du maintien de cette aptitude au départ de l’employé vis-à-vis de son travail. Si vous prenez un employé qui est exposé aux bruits, la visite médicale périodique va consister à vérifier le maintien de l’audition de ce travailleur. Il faut vérifier qu’il entend toujours bien. La visite médicale de surveillance spéciale est adressée à des travailleurs qui sont exposés à des risques spécifiques ou qui sont dans des conditions spécifiques. Il y a une liste réglementaire des risques et du rythme de surveillance. Par exemple, les femmes enceintes doivent faire  l’objet d’une visite médicale spéciale. Les travailleurs de moins de 18 ans doivent faire l’objet d’une visite médicale spéciale. Il en est de même pour les travailleurs exposés à certains produits chimiques. Cette visite médicale spéciale est souvent ramenée à six mois. Au lieu d’être faite annuellement, elle est faite deux fois dans l’année, c’est-à-dire une fois tous les six mois. Quant à la visite médicale de reprise, elle est effectuée après un accident de travail ou après un congé maladie qui excède 21 jours. Pour le travailleur qui s’est absenté pendant longtemps et qui revient à son poste, on doit vérifier que son état de santé est toujours compatible avec son emploi. La visite médicale de fin de contrat a pour objectif de faire l’état du travailleur à la fin de son contrat et lorsqu’il a été exposé à des risques spécifiques qui peuvent occasionner des maladies qui vont surgir dans le long terme, il est délivré au travailleur une attestation d’exposition.

 Sur le terrain et selon votre expérience, ces visites médicales sont-elles à l’ordre du jour ?

 Ce dispositif est appliqué mais de façon insuffisante. Beaucoup connaissent les visites médicales d’embauche et les visites médicales périodiques. Les visites médicales de surveillance spéciale, les visites médicales de reprise et les visites médicales de fin de contrat ne sont pas bien connues, d’où notre combat actuel de donner la bonne information aux entreprises, aux organismes et à tous ceux qui emploient des personnes pour effectuer un travail, sur l’existence de telles visites.

D’aucuns estiment que ces visites médicales sont coûteuses pour les entreprises. Qu’en dites-vous ?

La prévention a un coût certes mais la non-prévention est encore beaucoup plus chère. Elle est trois ou quatre fois plus chère que la prévention. Il y a des études qui ont montré que si vous investissez dans la prévention pour protéger la santé de vos employés, vous récoltez les bénéfices deux ou trois fois plus après.

 La tendance est de se débarrasser des agents malades. Quel est votre avis ?

 Même si vous vous débarrassez de quelqu’un qui est malade, vous allez recruter une nouvelle personne qui n’a peut-être pas l’expérience de celle malade ;  elle va prendre du temps pour se familiariser à son environnement et cela entraîne des pertes de temps de travail. Ce nouveau travailleur peut également tomber malade à son tour car le poste de travail expose celui qui l’occupe à un risque non identifié et non maîtrisé.

 Qu’appelle-t-on bilan de santé ?

 Le bilan de santé est différent de la visite médicale réglementaire. Tout le monde peut faire un bilan de santé. Son objectif, c’est de vérifier votre état de santé actuelle en relation avec votre âge, votre sexe, votre environnement de vie, etc. Tout médecin peut prescrire un bilan de santé et tout médecin peut le réaliser.

 En quoi le bilan de santé est important ?

De la même manière qu’on envoie nos véhicules au CCVA, chaque année, également, le corps mérite un bilan de santé. Le corps, c’est aussi une machine qui travaille chaque jour, qui se repose chaque jour. Pour le corps humain, il faut s’arrêter un jour pour vérifier qu’à l’interne tout va bien car vous avez ces pathologies qui évoluent silencieusement et qui sont souvent mortelles. Je prends l’exemple de l’hypertension artérielle qu’on appelle la « tueuse silencieuse ». Si tant que vous ne passez pas devant un agent de santé qui va prendre votre tension artérielle, vous ne saurez pas que vous avez l’hypertension artérielle parce que, très souvent, elle n’a pas de signe.

 Visites médicales réglementaires, bilan de santé,… ! Tout cela ne vous parait-il pas un luxe pour des populations confrontées à des questions existentielles ?

 Ce n’est pas du tout un luxe. Le bilan de santé est à la portée de toute personne et peut être réalisé en fonction de votre bourse. De façon générale, il est prescrit un certain nombre d’examens physiques et para-cliniques mais si vous n’avez pas les moyens de réaliser tout ce bilan, il y a ce que vous pouvez faire. Mieux vaut faire quelque chose que de ne rien faire du tout. Par exemple, prendre la tension artérielle ne coûte pas grand-chose. Or si vous êtes face à des complications de l’hypertension artérielle, c’est très coûteux.

 Certaines personnes estiment qu’il vaut mieux méconnaître les maladies dont on souffre car les connaître, c’est pourrir sa joie de vivre. Que leur répondez-vous ?

Il faut éviter de se voiler la face. Nous sommes aujourd’hui dans un monde où le corps humain est exposé à plusieurs facteurs environnementaux qui sont susceptibles d’altérer la santé.  En partant de notre rythme de vie, la sédentarité de plus en plus fréquente, le stress dans la vie professionnelle et sociale, le manque de sommeil, la mauvaise alimentation, la pollution de l’air, etc., le corps est constamment agressé. Si vous avez conscience de tous ces facteurs qui peuvent altérer votre santé, vous devez faire le bilan de santé au moins une fois par an pour vous assurer du niveau où vous êtes. Durant ce bilan de santé, le médecin va vous conseiller et cela va vous aider. C’est mieux de faire un bilan de santé que de ne pas le faire du tout.

 Si vous aviez des recommandations à formuler à l’adresse des pouvoirs publics, des employeurs, des employés, que diriez-vous ?

A l’endroit des employés et des employeurs, nous leur conseillons d’organiser la médecine du travail au sein de leurs entreprises respectives. Chaque entreprise a, aujourd’hui, la possibilité de s’attacher les services d’un médecin du travail conseil. Cela permettra une meilleure connaissance de l’entreprise, de son contexte et de ses enjeux, un meilleur conseil sur les conditions requises pour assurer une bonne santé de l’ensemble des travailleurs dans l’optique de favoriser la productivité. Les grandes multinationales internationales ont vraiment investi sur les questions de santé au travail et cela a permis de les hisser au niveau où elles sont. C’est bon de donner des cartes d’assurance aux employés pour qu’ils puissent se soigner quand ils sont malades ; mais il est tout aussi nécessaire d’organiser la prévention à l’interne, car les entreprises pourront économiser sur les dépenses en santé en réduisant les arrêts maladies, et en favorisant une bonne productivité. Pour les pouvoirs publics, je crois qu’ils devraient favoriser et même encourager l’exercice libéral de la médecine du travail parce que cela permettrait de faire face aux défis actuels du monde du travail et de l’entreprise, en matière sanitaire en lien avec les performances. Il y va de la santé de notre économie nationale.

 Propos recueillis par Michel NANA

 

 

 

 

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